De temps en temps il me vient une envie irrépressible, une
impérieuse nécessité de m’évader, de fuir ce tropisme hexagonal où j’ai
tendance à m’enfermer.
La morosité ambiante,
la météo déprimante m’incitent, tels les tournesols, par un phénomène bien
connu de phototropisme à me tourner vers le soleil et les tropiques même si
ceux-ci sont tristes comme l’écrivait Levi Strauss.
Tout naturellement, et pour des raisons personnelles,c’est
vers le Mali que je m’oriente, brusquement et malheureusement projeté sur le
devant de la scène politique internationale en raison d’une désolante
actualité.
Plus étendu que le
cousinage à la mode de Bretagne, cette insolite contrée du Far West français où
les ethnologues hésitent encore à s’aventurer, je vous emmène faire un tour un
peu à tâtons dans l’inextricable
écheveau pour un toubab *, du cousinage malien.
Même si
comme souvent, les maliens aiment donner un nom du terroir à l’étranger qui les côtoie, il est difficile à ce dernier de s’y retrouver dans cette immense toile
d’araignée dans laquelle s’enchevêtrent
les équivalences patronymiques et les correspondances ethniques et je ne
prétends pas y être parvenu.
Ce cousinage à plaisanterie, le "Sanankunya", remonterait
au 13ème siècle, Soundiata Keita dont l’épopée est surtout connue grâce
aux récits des griots, devint après la bataille de Kirina où il battit Soumaoro
Kanté, roi du pays mandingue, espace qui
recouvrait à l’époque l’actuel Mali, le Burkina Faso , le Sénégal, la petite
Gambie enclavée, la Guinée Conakry, la Guinée Bissau , la Mauritanie et le nord
de la Côte d’Ivoire.
Une charte orale contenant 44 articles fut alors adoptée, la
charte du Mandingue ou encore
Kurukanfuga, sorte de constitution qui
avait pour large objectif d’appréhender
tous les domaines de la vie en société
avec des dispositions politiques et juridiques.
Le cousinage à plaisanterie est une pratique consistant à
ironiser sur les faits et gestes de l’autre ethnie ou de l’autre caste et à
désamorcer les conflits, on peut donc définir le cousinage comme un facteur de
paix sociale.
Il faut dire qu’outre la diversité des ethnies composant ce
vaste pays, celles-ci se divisent en castes apparues en raison de la nouvelle
organisation sociale mise en place durant le règne de Soundiata Keita.
Ainsi dans cette fameuse bataille de Kirina, le groupe
défait, celui des forgerons fut alors
ravalé au rang de caste inférieure.
Chez les Bambara et Malinkés il y a la caste supérieure
(Horon) les nobles, et la caste inferieure (Nyamakala) reconnaissables à leurs
patronymes (jàmu),
cette, dernière est elle-même divisée en sous castes. Ce qui distingue la caste
supérieure c’est qu’elle ne pratique normalement pas les travaux artisanaux et
artistiques et qu’elle se réserve l’agriculture, le commerce et l’élevage chez
les peuhls.
Bien entendu, la colonisation va entraîner un bouleversement
important des structures sociales traditionnelles avec l’arrivée de nouveaux
métiers mais aussi des nouvelles valeurs. Il y aura donc un nouvel artisanat
avec l’automobile, l’électricité etc.
Pour autant, les
Keita sont toujours nobles et les Kouyaté demeurent des griots. Salif Keita le
celèbre chanteur albinos d’extraction noble eut beaucoup de mal à se faire
accepter et sera rejeté par sa famille pour s’être lançé dans une activité
traditionnellement réservée aux griots.
Le toubab peut être désorienté par cette hiérarchie sociale
qui vient se juxtaposer dans le monde du travail à celle que nous connaissons
dans nos sociétés occidentales, un de mes amis, conseiller technique d’une
grande société d’état dans les années 70 me rapporta que le Directeur général
de caste inférieure interrompit le conseil d’administration en raison de
l’irruption d’un gardien de caste supérieure.
Il se dit que l’ancien président de la République du Mali Amadou
Toumani Touré eut du mal à recruter des ministres, certains d’entre eux ne
souhaitant pas travailler sous ses ordres.
Les cousins à plaisanterie par la seule évocation de leurs
patronymes peuvent après les interminables salutations d’usage longues comme un
jour sans pain se vanner mutuellement. Les moqueries, si je m’en rapporte à mon
experience sont souvent liées à l’origine, et à leur condition supposée
d’esclave.
Si cette pratique sociale est typiquement ouest-africaine,
probablement située dans les limites de l’ancien Empire Mandingue, elle est
encore tres vivace au Mali et il me semble, compte tenu de l’animosité parfois ressentie entre certaines ethnies en
Guinée Conakry et en Côte d’Ivoire qu’elle ait été quelque peu oubliée dans ces
deux pays.
Le cousinage à plaisanterie est une excellente école de
rhétorique où les bretteurs doivent faire preuve de maitrise de soi, d’humour
et néanmoins rester dans les limites de la décence dont pourraient s’inspirer
parfois certains ‘’forumeurs’’ du net.
Bien que je n’en ai pas eu conscience au moment où je la
constatais, la survivance de cette
parenté à plaisanterie a certainement contribué à cette acceptation de l’autre
et à l’apaisement des tensions communautaires pouvant survenir pour des raisons
politiques,religieuses ou territoriales.
C’est cette harmonie entre les différentes ethnies qui
m’avait rendu optimiste sur le devenir du Mali, c’était sans compter sur le
problème persistant avec les Touaregs depuis
les années 60 et il n’est pas certain que le sanankuya suffise à cicatriser les
plaies ouvertes lors de ce dernier conflit.
- Toubab : nom qui désigne en Afrique de l’Ouest les étrangers à peau blanche
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