jeudi 20 juin 2013

La parenté plaisante au Mali



De temps en temps il me vient une envie irrépressible, une impérieuse nécessité de m’évader, de fuir ce tropisme hexagonal où j’ai tendance à m’enfermer.

 La morosité ambiante, la météo déprimante m’incitent, tels les tournesols, par un phénomène bien connu de phototropisme à me tourner vers le soleil et les tropiques même si ceux-ci sont tristes comme l’écrivait Levi Strauss.

Tout naturellement, et pour des raisons personnelles,c’est vers le Mali que je m’oriente, brusquement et malheureusement projeté sur le devant de la scène politique internationale en raison d’une désolante actualité.
 Plus étendu que le cousinage à la mode de Bretagne, cette insolite contrée du Far West français où les ethnologues hésitent encore à s’aventurer, je vous emmène faire un tour un peu à tâtons  dans l’inextricable écheveau pour un toubab *, du cousinage malien.

Même si comme souvent, les maliens aiment donner un nom du terroir à l’étranger qui les côtoie, il est difficile à ce dernier de s’y retrouver dans cette immense toile d’araignée dans laquelle s’enchevêtrent  les équivalences patronymiques et les correspondances ethniques et je ne prétends pas y être parvenu.

Ce cousinage à plaisanterie, le "Sanankunya", remonterait au 13ème siècle, Soundiata Keita dont l’épopée est surtout connue grâce aux récits des griots, devint après la bataille de Kirina où il battit Soumaoro Kanté,  roi du pays mandingue, espace qui recouvrait à l’époque l’actuel Mali, le Burkina Faso , le Sénégal, la petite Gambie enclavée, la Guinée Conakry, la Guinée Bissau , la Mauritanie et le nord de la Côte d’Ivoire.

Une charte orale contenant 44 articles fut alors adoptée, la charte du Mandingue ou  encore Kurukanfuga, sorte de constitution  qui avait pour large objectif  d’appréhender tous les domaines de  la vie en société avec des dispositions politiques et juridiques.

Le cousinage à plaisanterie est une pratique consistant à ironiser sur les faits et gestes de l’autre ethnie ou de l’autre caste et à désamorcer les conflits, on peut donc définir le cousinage comme un facteur de paix sociale.
Il faut dire qu’outre la diversité des ethnies composant ce vaste pays, celles-ci se divisent en castes apparues en raison de la nouvelle organisation sociale mise en place durant le règne de  Soundiata  Keita. 

Ainsi dans cette fameuse bataille de Kirina, le groupe défait, celui des forgerons  fut alors ravalé au rang de caste inférieure.

Chez les Bambara et Malinkés il y a la caste supérieure (Horon) les nobles, et la caste inferieure (Nyamakala) reconnaissables à leurs patronymes (jàmu), cette, dernière est elle-même divisée en sous castes. Ce qui distingue la caste supérieure c’est qu’elle ne pratique normalement pas les travaux artisanaux et artistiques et qu’elle se réserve l’agriculture, le commerce et l’élevage chez les peuhls.

Bien entendu, la colonisation va entraîner un bouleversement important des structures sociales traditionnelles avec l’arrivée de nouveaux métiers mais aussi des nouvelles valeurs. Il y aura donc un nouvel artisanat avec l’automobile, l’électricité etc.

 Pour autant, les Keita sont toujours nobles et les Kouyaté demeurent des griots. Salif Keita le celèbre chanteur albinos d’extraction noble eut beaucoup de mal à se faire accepter et sera rejeté par sa famille pour s’être lançé dans une activité traditionnellement réservée aux griots.

Le toubab peut être désorienté par cette hiérarchie sociale qui vient se juxtaposer dans le monde du travail à celle que nous connaissons dans nos sociétés occidentales, un de mes amis, conseiller technique d’une grande société d’état dans les années 70 me rapporta que le Directeur général de caste inférieure interrompit le conseil d’administration en raison de l’irruption d’un gardien de caste supérieure.

Il se dit que l’ancien président de la République du Mali Amadou Toumani Touré eut du mal à recruter des ministres, certains d’entre eux ne souhaitant pas travailler sous ses ordres.

Les cousins à plaisanterie par la seule évocation de leurs patronymes peuvent après les interminables salutations d’usage longues comme un jour sans pain se vanner mutuellement. Les moqueries, si je m’en rapporte à mon experience sont souvent liées à l’origine, et à leur condition supposée d’esclave.

Si cette pratique sociale est typiquement ouest-africaine, probablement située dans les limites de l’ancien Empire Mandingue, elle est encore tres vivace au Mali et il me semble, compte tenu de l’animosité  parfois ressentie entre certaines ethnies en Guinée Conakry et en Côte d’Ivoire qu’elle ait été quelque peu oubliée dans ces deux pays.

Le cousinage à plaisanterie est une excellente école de rhétorique où les bretteurs doivent faire preuve de maitrise de soi, d’humour et néanmoins rester dans les limites de la décence dont pourraient s’inspirer parfois certains ‘’forumeurs’’ du net.

Bien que je n’en ai pas eu conscience au moment où je la constatais, la  survivance de cette parenté à plaisanterie a certainement contribué à cette acceptation de l’autre et à l’apaisement des tensions communautaires pouvant survenir pour des raisons politiques,religieuses ou territoriales. 

C’est cette harmonie entre les différentes ethnies qui m’avait rendu optimiste sur le devenir du Mali, c’était sans compter sur le problème persistant avec les Touaregs  depuis les années 60 et il n’est pas certain que le sanankuya suffise à cicatriser les plaies ouvertes lors de ce dernier conflit.

  •  Toubab : nom qui désigne en Afrique de l’Ouest les étrangers à peau blanche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire