Au début de l’histoire que nous situerons dans les années cinquante par pur égotisme, être de gauche était relativement simple et ne nécessitait aucune compétence particulière, ni même aucune grandeur d’âme.
La preuve, l’auteur de cet article s’est prévalu pendant de longues années d’être viscéralement de gauche sans posséder une once de légitimité ni les qualités requises, au seul prétexte qu’il était né dans un milieu ouvrier.
Aujourd’hui cette revendication à se prétendre de gauche sans en avoir les qualités intrinsèques pourrait être passible de poursuites judiciaires sous le chef d’inculpation d’usurpation d’identité. A cette époque bénie, il existait deux grandes enseignes de gauche : le Parti Communiste et la SFIO.
La place à droite étant prise par un géant à
képi difficilement déboulonnable, un entrepreneur en politique aux convictions
fluctuantes fit une OPA sur la gauche et prit la tête du Parti Socialiste en
1971. Ce fut le début de sa mutation orthographique et sociologique.
L’ouvrier, alors objet de toutes les attentions, au point
qu’il était urgent de ne jamais désespérer Billancourt, s’est mué en beauf borné et forcément raciste,
il a fini par décevoir cruellement l’intelligentsia de gauche qui s’évertuait
en vain à lui inculquer des préceptes humanistes.
Car s’il n’est pas éclairé par des esprits lumineux le
franchouillard moyen, ouvrier, employé, paysan, peut devenir ce facho ordinaire que les apparatchiks
solfériniens savent si bien détecter. Si elle aime et veut le bonheur du
peuple, la gauche se méfie des individus qui le composent dont la médiocrité et
l’ingratitude les attristent.
Bien sur, l’intellectuel gauchisant s’est souvent fourvoyé
lui-même avec des emballements successifs pour Staline, Mao, Pol Pot et autres
despotes lumineux mais il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec
Aron. D’ailleurs cette dernière rime
riche ne pouvait qu’inciter à la défiance de ceux pour qui la finance est l’ennemie jurée.
Le déclin de la
classe ouvrière aidant, le premier François
de la planète socialiste, dont le sourire carnassier cachait mal une denture
acérée eut vite fait de réduire son allié à une portion congrue.
Insensiblement, mais inexorablement la gauche Front
Populaire, devint dans les années 80 une gauche dite caviar ainsi labellisée
par des aigris devant se contenter de tartiner leurs toasts avec des œufs de
lump. Dans les salons mondains, prononcée avec délectation la bouche en cul de
poule, la gauche céda la place à la gôche.
Son navire amiral, le
parti socialiste se transforma en une
officine sociateliste, tandis que le
moignon du parti communiste se greffa sur le front de gauche du défroqué
vitupérant de la chapelle solférinienne, Jean Luc Mélenchon.
La gauche bobeauf, islamophile, xénophile, homophile, écolophile,
diversitéphile ne tôlera plus qu’une
seule phobie, la prolophobie à condition toutefois qu’elle soit dirigée
essentiellement contre le prolo blanc, souchien et hétérosexuel. Elle venait d’inventer un
nouveau mode de tri sélectif.
Elle entonna son nouveau crédo ‘’la préférence
immigrée’’ comme l’illustra l’épisode du Sofitel de New York qui nous montra un
DSK vigoureux totalement affranchi de
préjugés racistes.
En mai 68 nous étions
devenus des juifs allemands, ce qui était particulièrement courageux de notre
part et frisait l’oxymore deux décennies plus tôt, maintenant nous nous devions
d’être des roms kosovars. Alors évidemment,
des cerveaux moins bien finis que ceux de nos élites sont un petit peu
déboussolés devant ces identités successives.
Aussi, beaucoup
d’entre nous ont pris conscience qu’ils n’étaient pas équipés moralement,
qu’ils n’avaient pas le niveau, qu’ils péchaient par égoïsme, qu’ils avaient moins de goût pour l’altérité
exotique que d’inclinaison pour celle de proximité, ce qui les rendaient
incompatibles avec tous ces beaux esprits.
Il était tentant d’implorer le
grand prêtre officiel de ‘’l’ordre juste de la fermeté et de l’humanité’’ afin
d’espérer s’approcher de l’autel pour communier « Harlem, nous ne sommes
pas dignes de recevoir ton saint bréviaire mais dit seulement une parole et nous serons
guéris ».
C’était évidemment une supplication vaine, la gôche
resterait désormais pour nombre d’entre nous, une impossible et illusoire quête
du Graal, un rêve inaccessible.