On le pressait de toutes parts de remanier son gouvernement,
mais il hésitait, c’est dans sa nature à François de Normalie. C’est un garçon
prudent et donc vertueux si l’on en croit l’enseignement d’Aristote, en
effet un homme vertueux est un homme de jugement capable de discerner
entre deux vices lequel doit être sanctionné.
En son for intérieur,
qui est modeste comme il sied à un président normal, il était certainement
tenté de remodeler son équipe, mais sur quels critères ? La compétence
l’aurait contraint à réunir son conseil de ministres dans une cabine
téléphonique, la fâcheuse tendance à
chanter faux et pas dans le rythme de nombre d’entre eux aurait été tout
aussi dévastatrice.
Il y avait aussi quelques ‘’forts en gueule’’, ceux qui ont
le verbe haut, qui s’insurgent contre l’austérité et qui pourraient, ce
faisant, devenir populaires jusque dans son propre camp.
Et soudain, il eut une idée de génie, ce genre de fulgurance
qui le traverse de temps en temps comme durant son discours du Bourget où il s’était découvert un seul
adversaire : la finance se convainquant ainsi qu’il était bien socialiste
ou lorsqu’avait germé dans sa tête d’énarque la fameuse taxation de 75% avec le
succès que l’on sait.
L’affaire Cahuzac lui en donna l’occasion , au début c’était
la faute d’un seul homme, un félon même pas socialiste, une espèce de pièce
rapportée, comme une maladie, sorte de mildiou de la vigne, champignon parasite venant infecter les feuilles, les rameaux de cet arbre si
beau, si sain, si verdoyant du socialisme triomphant.
Il décida d’imposer à ses ministres la déclaration publique
de leur patrimoine, et ce fut un choc, lui qui avait toujours détesté les
riches, au moins ceux qui l’étaient plus que lui, se découvrait cerné par cette
engeance.
Qu’avait –il fait au bon dieu pour mériter toutes ces
avanies ? Sa première réaction légitime et libératrice bien que teintée de
tartufferie fut de crier à pleins
poumons ‘’Dehors, les riches, cachez ces friqués que je ne saurais voir ‘’, puis ensuite se reprenant il dut réfléchir au seuil à partir duquel l’on était riche.
A une époque pas si
lointaine, il l’avait fixé à 4000€ mensuels, mais il n’était pas aux affaires,
il dut réévaluer et estima qu’un million d’euros de patrimoine pouvait
constituer une porte d’entrée vers la richesse tant honnie mais aussi une porte
de sortie pour ces nantis.
En comptant bien, il s’aperçut qu’il pourrait se débarrasser
à bon compte de huit ministres dont le premier d’entre eux en se basant sur ce
critère simpliste mais non contestable. Il pouvait désormais gouverner qu’avec
les pauvres.
Il avait donc trouvé la martingale idéale mais comme souvent,
une faille apparut, le fameux grain de sable qui enraye tout le mécanisme.
On lui fit en effet remarquer que s’il adoptait cette
nouvelle norme, il serait lui aussi, contraint de s’auto dissoudre, et
l’effervescence qu’avait suscité l’idée géniale de cette nouvelle règle retomba
comme un soufflé.
Il déprima quelque temps, car il n’acceptait pas ce statut
de nouveau riche qui risquait de l’entrainer dans une détestation de son
auguste personne. Il pressentait qu’il devrait le porter comme une croix en
priant pour qu’un revers de fortune, une crise immobilière, un krach financier
ou tout simplement la gestion calamiteuse de son gouvernement vienne le sauver,
l’extraire de cette fange opulente où il
ne voulait plus se vautrer.
Il remit son remaniement à plus tard et reprit son activité
favorite : la procrastination.