En ces temps de crise ou les mauvaises nouvelles ne se
ramassent pas à la pelle, comme le dit la chanson, mais au tractopelle, il
convient de saluer le dynamisme de la production de l’industrie sondagière florissante,
attisée par la gourmandise de médias dont l’addiction ne se dément pas.
Comme la lune, cette
réussite a une face cachée, un versant sombre, les millions d’oubliés des
sondages dont jusqu’à présent l’indicible souffrance n’était pas entendue. Mais
comment reprocher à nos gouvernants d’être à l’écoute des non-dits, quand ils
n’entendent pas toujours ce qui est énoncé clairement ?
C’est pourquoi nous
avons ressenti l’urgence d’écrire ce petit billet en forme de manifeste,
l’emploi du pronom « nous » étant un subterfuge tentant à donner un
caractère polyphonique à cette chronique et à illustrer mon combat quotidien
contre la proscratination en ne remettant pas à deux mains ce que je pouvais
faire à une seule.
Debout les damnés de la terre, les laissés pour compte de la
société d’opinion, citoyens de seconde zone, nous sommes tous, à l’instar de
ces ménagères de plus de cinquante ans, mis au rebut, bons pour la déchetterie.Transparents,invisibles,insondés,inexplorés
mais pas insondables.
C’est pourquoi nous avons créé l’AIC (association des insondés
chroniques) qui a pour but d’attirer l’attention des pouvoirs publics et des
instituts de sondage sur le désarroi d’un vaste échantillon représentatif de la
société, en jachère, jamais consulté. Un vrai gâchis de ressources humaines
inexploitées.
En effet, les témoignages que nous recevons n’émanent pas de
Mennonites isolés dans la Pampa refusant le téléphone, l’électricité, le moteur
à explosion et même les couches culottes jetables, ou d’exilés fiscaux
difficiles à joindre, mais d’honnêtes contribuables de toutes obédiences :
religieuses, maçonniques, alcooliques et politiques, tous pourvus d’un
téléphone fixe, d’une connexion internet haut débit et d’un Iphone dernière
génération.
C’est ainsi que s’y côtoient sans heurt et sans sectarisme
aucun, des umpistes nostalgiques, des socialistes triomphants, des centristes
déroutés, des radicaux éparpillés, des frontistes dextres bleu-marine, des
frontistes senestres rouges de colère, des écolobios verts de rage,des
ambidextres désorientés, des Nulle
Part Ailleurs ou aller, des pécheurs
à la ligne et autres encartés qu’il serait trop fastidieux d’énumérer ici.
Mais quels sont les affres vécus par ces oubliés des
sondages ? Nous allons tenter de vous l’expliquer avec deux exemples simples
et aisément compréhensibles.
Le premier sera évocateur pour les sportifs, si la solitude
du gardien de but a souvent été évoquée, l’on a peu parlé de l’angoisse vécue
par les remplaçants sur le banc de touche alors que s’égrènent les minutes et
qu’ils guettent désespérément sur le visage de l’entraineur le signe libérateur
qui les autoriserait à aller s’ébrouer
avec leurs camarades sur la pelouse ou le plancher selon le sport pratiqué.
Le second est plus universel, il s’adresse aux usagers des
transports publics ; Qui n’a jamais vécu aux heures d’affluence le stress
intense ressenti aux passages successifs de rames RER pleines à craquer et qui ne s’arrêtent
jamais ?
Voilà ce que vivent les oubliés des sondages, un calvaire,
une sensation de mal-être ou plus précisément de non-être. Ils ne sont pas
exigeants, ils se contenteraient de sondages de seconde zone, pas politiques,
ni même d’importance vitale, comme celui sur la personnalité préférée des
français ou il faut choisir entre 50 éminentes
célébrités. Ce dernier serait au dessus de leur capacité de réflexion atrophiée
par des années de non pratique.
Non au début, ils aimeraient bien se voir proposer des
sondages simples avec une ou deux réponses possibles : oui ou non, ou un
choix entre deux personnes. Du type alimentaire tel que : la teneur en sel
du fromage Chabichou est elle trop élevée ? Répondez par oui ou non. Ou
encore : Trouvez vous normal
que certaines femmes aient un salaire plus conséquent que celui de leur
conjoint ? Là encore la réponse est évidente tellement la question peut
paraitre incongrue. Beaucoup d’hommes nous ont dit qu’ils étaient surs d’avoir
la bonne réponse, ce qui augmentait d’autant leur frustration.
Une de nos adhérentes a lu chez son coiffeur dans
« Elle » un sondage très pertinent auquel elle aurait souhaité
participer. Nous vous le livrons in extenso : De laquelle des deux
personnalités suivantes vous sentez vous la plus proche ? Ségolène Royal
ou Valérie Trierweller? Sondage évidemment biaisé qui consiste à départager le
sourire ‘ joncondien’ de l’une, « fait entièrement lèvres »,
grâce à des commissures d’une souplesse remarquable, exemptes de perlèches
disgracieuses et la mine avenante d’un cerbère
de boite de nuit.
Le désespoir de certains, heureusement peu nombreux, les
conduisent à des comportements erratiques comme ce fervent catholique chantant
sans cesse le psaume 139 : Éternel! Tu
me sondes et tu me connais, Tu sais quand je m’assieds et quand je me lève, Tu
pénètres de loin ma pensée; Tu sais quand je marche et quand je me couche, Et
tu pénètres toutes mes voies. Dieu seul sait, et cela suffit, ou cette
psalmodiation l’a conduit.
Un autre plus raisonnable mais dyslexique revisite, le texte
en main, la cinquième strophe du « Notre Père » en récitant « Sondez
nous notre panel quotidien », en lieu et place de « Donnez nous notre
pain quotidien »ce qui ne fait pas l’affaire de son boulanger.
La littérature sur le sujet nous rapporte un cas,
heureusement unique, d’un insondé congénital ayant fait le siège de son
urologue pour se faire poser une sonde urinaire et qu’on a du faire interner.
Sondez nous nom de D…. !