L’année 2013 sera sans nul
doute radieuse, à l’image de la cité du même nom imaginée par Le Corbusier à Marseille, les
bonnes nouvelles s’amoncellent, notre ministre de la culture et des labours a
décidé de s’impliquer dans les programmes de la télévision publique.
Lassée de l’incompétence du patron
de France Télévisions qui a, comme autre handicap, un patronyme qui ne se
prononce pas mais s’éternue, elle a entrepris de réaliser avec l’aide de la
célèbre société de production Hollandemol, un conte pour adultes.
Pour ce faire, elle n’a pas
mégoté sur la distribution, le sapin, un épicéa commun, est interprété par
Michel, artiste altruiste plus préoccupé
par la déchéance des autres que de la sienne, les boules par Torreton, ancien
chasseur de primes au Conseil Municipal de Paris et ex traqueur de subventions et d’exilés
fiscaux. L’enguirlandé marquis préposé au redressement productif complète la distribution et la décoration.
La neige, personnage mutique mais
important devait être confié à Depardieu, la réalisatrice lui prédisait un
avenir rayonnant dans le cinéma muet, mais
celui-ci s’étant lâchement enfui en scooter outre-quiévrain, notre ministre de
la culture et des labours, également spécialiste des effets spéciaux, notamment
de l’enfumage s’est attribué le rôle.
La musique aux accents
outrageusement dramatiques a été composée par le sombre Ayrault de l’armée mexicaine qui a eu
l’idée incongrue d’écrire une symphonie wallonne en la ‘’minable’’.
Certains critiques qui ont eu
comme moi l’immense privilège d’assister à l’avant première de ce conte de noël et du 1er de l’an
ont désapprouvé le choix de Michel qui a
perdu depuis longtemps de nombreuses aiguilles au détriment d’un sapin de Nordman aux aiguilles disposées
en brosse relevée et à la fière allure.
Ce choix contesté a été imposé
par des restrictions budgétaires et celui
qui tient les cordons de la bourse au sein d’ hollandemol a fait valoir deux
arguments de poids, il ne voulait pas provoquer outre mesure l’ire d’Edwy
l’inquisiteur médiatique qui le poursuit de sa vindicte et rappelé que dans une
vie antérieure il fut spécialiste des implants capillaires et pourrait si
besoin ‘’réaiguiller’’ l’épicéa commun.
Pour ma part, je n’ai pas été
choqué par la décision d’attribuer à Michel le rôle ingrat du sapin, acteur
totalement naturel, garanti sans implants OGM et en tout cas plus crédible
qu’un certain Sylvio, un moment envisagé par la production.
Il ne s’agit pas à proprement
parler d’une œuvre de création mais d’une libre adaptation d’un film Smic,
Smac, Smoc réalisé en 1971 par Claude Lelouch. C’est l’histoire de trois
ouvriers des chantiers navals, Charlot, Jeannot et Robert,
surnommés respectivement
"Smic", "Smac" et "Smoc", qui en ont assez de n'être payés que le SMIC. La
suite est une comédie loufoque, chemin que n’a pas voulu emprunter la
réalisatrice inspirée, quoique !
Dans le conte, les trois ouvriers qui se nomment Roger,
Kevin et Amir ne travaillent pas sur les chantiers mais dans le dernier atelier
de confection artisanal de l’hexagone spécialisé dans les strings de
chippendales. C’est peu de dire qu’ils sont sur la corde raide dont ils ont du
mal à joindre les deux bouts.
Mais ils pensent
néanmoins tenir cette même corde pour pouvoir bénéficier d’une substantielle
augmentation du SMIC en ce début d’année 2013. Comme le dit Bruno-Roger Petit
avec des trémolos dans la voix, « c’est quand même un gouvernement de
gauche ».
Roger et Kevin vivent en colocation depuis plusieurs années,
tandis qu’Amir danseur de claquettes ouszbek les a rejoints récemment, attiré
par les réformes sociétales du nouveau gouvernement : le mariage pour tous
et le droit de vote des étrangers.
Il a obtenu le statut de réfugié politique en arguant qu’il
ne pouvait supporter d’écouter à la radio nationale le duo magique composé de
la fille du président Gulnara Karimova avec Gérard Depardieu. Quand je
m’aventure à objecter à la réalisatrice
que le départ d’Amir d’Ouzbékistan est antérieur à la diffusion de la chanson,
elle concède l’anachronisme mais fait remarquer finement qu’il s’agit d’un
conte et non d’un documentaire historique.
Et pour enfoncer le clou, elle nous confie que l’idée d’un
rapprochement même vocal entre la fille du dictateur et l’exilé fiscal lui
était insupportable. Elle conclut enfin par un argument massue, la chanson
concernée s’intitule "Nebo moltchit" ("Le ciel se tait", en
russe) et me dit que je serai bien avisé d’en faire de même.
Évidemment, l’intrigue est assez plate, la vie de trois
accordeurs de strings attendant impatiemment l’augmentation du smic est des
plus banales, alors afin de rendre le suspense plus acceptable leur offre t-on
en guise d’esquimaux les douces diversions sociétales dont ils raffolent.
J’ajoute, et c’est tout à son honneur, que la réalisatrice
s’est refusée à tomber dans le graveleux en se laissant aller à filmer la vie
sexuelle du trio à cordes.
Mais je ne résiste
pas à vous narrer ce qui constitue pour moi mais aussi pour ‘’Les Cahiers du
Cinéma’’ la scène d’anthologie de ce conte lorsque le sapin se décide enfin à
mettre fin à l’angoisse insoutenable qui nous étreint compte tenu de la formidable empathie que nous éprouvons à
l’égard de ces trois héros.
Un épicéa qui parle, c’est déjà pas commun, en épicéan de
surcroit, langue proche de l’araméen, celle du christ, c’est encore plus original,
mais ça peut rester abscons pour trois ‘’petites mains’’ qui n’ont pas lu les
écritures.
D’où l’idée géniale de la production d’avoir engagé pour le doublage grâce à une autorisation spéciale du
fisc belge, l’acteur Benoit Poolvorde,
bonimenteur de talent qui prête sa faconde inimitable de vendeur d’épluche
légumes magique.
« Ecoutez moi
bien, ‘’mssiers dames’’ cette augmentation je pourrai vous la faire pour un,
deux, voire cinq pour cent, que vous n’y verriez que du feu, et bien non, je
vous la laisse, non pas pour 0.9, 0,8, ni même pour 0,5, non, je vous la brade
pour 0.3% car c’est mon jour de bonté !
Je ne vous raconterai pas la scène finale de liesse
populaire qui suit avec nos trois héros brandissant leurs calculettes car vous seriez tentés d’aller dépenser par
anticipation au bistrot du coin cette mirifique augmentation au lieu de passer une
belle soirée en famille devant la petite lucarne.
Sachez seulement qu’au moment ou le public se lève ravi,
pendant que défile le générique de fin avec les remerciements aux deux autres
sociétés coproductrices : ‘’les Calculettes
de Bercy, et ‘’le Changement c’est
maintenant’’, une phrase s’inscrit en lettres d’or pour clore ce féérique conte « Plus belle la vie avec un beau sapin !».
Une salve d’applaudissements éclate dans la salle de projection tandis que simultanément un raz de marée de
larmes l’inonde et la submerge dans un tsunami émotionnel intense et
l’assemblée de reprendre en chœur cette antienne composée par le BRP cité plus
haut «C’est quand même un gouvernement de gauche et ça change tout »
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