La triste actualité malienne me donne l’occasion de
présenter à ceux qui ne le connaissent pas encore le pays Dogon. Très proche de
Konna, à peine 70 kms à vol d’oiseau, la
dernière ville la plus au sud investie par les mouvements islamistes. Les
dogons sont installés sur les falaises de Bandiagara, le plateau de Sangha et
la plaine du Séno.
C’est probablement l’ethnie malienne qui a le mieux conservé son originalité,
ses traditions et ses croyances séculaires. Mon histoire personnelle fait que
je ne peux rester indifférent au destin du
Mali, mais mon but n’est pas de convaincre qui que ce soit de la
nécessité de l’intervention militaire française décidée par Hollandemol , grand
producteur de gadgets sociétaux, mué en chef de guerre.
J’ai lu et entendu la litanie des arguments contre, certains
recevables, d’autres plus spécieux en vrac, les arrières pensées politiques et
économiques vraies ou fantasmées qui sous-tendent cette intervention, le risque
d’enlisement, la vie de nos otages, de nos militaires etc.
Ceux qui sont pour, et notamment l’immense majorité des
maliens si j’en crois la presse locale et les forums maliens et africains pourraient
nous rappeler les milliers de soudanais morts pour que la France ne devienne
pas la ‘’Vranze’’.
Les détracteurs de cette intervention, très nombreux sur la
toile connaissent sans doute mieux que quiconque la géographie, la culture, la
composition ethnique de ce vaste pays. Selon le député Mamère, marieur compulsif,
il était urgent d’attendre la délibération des députés et le Mujao, Aqmi et
Ansar ed-Dine demeureraient sagement l’arme au pied en guettant les décisions
du Palais Bourbon.
Pour ma part, j’ai juste pensé à ce qui arriverait aux
Bambaras, Malinkés, Peuls, Bozos, Sénoufos, Songhaïs (déjà touchés à Gao) et autres qui composent la mosaïque ethnique
de ce pays. Les Dogons eux, se situent géographiquement au nord de la ligne sécurisée par les troupes
maliennes et françaises à Sévaré et Mopti.
Qu’adviendrait-il de ce peuple venu du sud ouest du Mandé, entre
le XIIIème et XVIème siècle s’installer en trois vagues de peuplement sur la
falaise de Bandiagara ou vivaient alors des populations troglodytes les Tellem
afin d’éviter une islamisation qui a fini par les rattraper au 19ème
siècle pour une bonne partie d’entre eux ? Cette islamisation se conjugue encore
de nos jours avec de nombreuses pratiques animistes.
Le peuple Dogon a éveillé rapidement l’intérêt d’abord d’un
lieutenant de l’infanterie coloniale Louis Desplagnes en 1907, mais c’est
surtout grâce aux travaux des le début des années 1930 d’éminents ethnologues,
le Professeur Marcel Griaule, rejoint
quelques années après par Germaine Dieterlen qui vivront vingt ans parmi eux
que la connaissance de la cosmogonie Dogon symbolisé par les masques est
parvenue jusqu’à nous.
C’est probablement grâce à la situation géographique et aux
falaises de grès au sein desquelles sont blottis ces villages constituant ainsi
des forteresses difficilement accessibles que cette vieille civilisation a pu
rester relativement épargnée.
Les deux ethnologues
français, initiés par un prêtre Dogon, le Hogon Otogommeli publieront une étude en 1951 dans le journal de la société des africanistes
intitulée « un système soudanais de Sirius ». Dans cet article, ils décriront
la vision des Dogons de l'univers, tellement stupéfiante pour un peuple dit
primitif qui suscita l’incrédulité.
Ce qui semble incontestable, c’est que la cosmogonie Dogon
intègre des faits astronomiques observables qu’avec des télescopes dont ils ne
disposaient bien évidemment pas, par exemple, les quatre satellites de Jupiter,
les anneaux de saturne. L’origine de ce savoir astronomique reste une énigme.
Le célèbre masque Kanaga qui illustre cet article est censé
être l’évocation d’Amma le dieu créateur, qui semble évoquer un homme les bras
levés a même figuré fugitivement sur le drapeau du Soudan français (actuel
Mali) en 1958/1959 et sur l’éphémère Fédération du Mali constituée du Sénégal
et du Soudan français.
Ce qui surprend le visiteur en visitant le pays Dogon, c’est
aussi l’architecture qui diffère totalement des autres villages maliens. La vue
qui s’offre à lui est à la fois magnifique et spectaculaire avec des hauts
greniers surplombant les cases et plus haut encore des anfractuosités dans
lesquelles les Dogons placent leurs défunts.
Les cases sont
construites en pierres venues des éboulis, matériau quasiment absent ailleurs au
Mali ou en briques d’argile façonnées à la main,
elles sont entourées de greniers à mil reconnaissables à leur toiture conique en
paille et à leurs portes sculptées.
Autre particularité, la case à palabres, la Togou-na ou Toguna
sous laquelle les hommes du village, et plus particulièrement les anciens, se
réunissent pour parler des affaires communes. Sa taille basse est conçue pour
préserver l'ombre et la fraîcheur du lieu de réunion. Il est dit aussi que sa
hauteur réduite à 1.20 m empêcherait les hommes de se tenir debout et réduirait
les emportements.
Les dogons sont également connus pour leurs danses masquées régies
par ‘’ La Société des masques’’ composé uniquement d’hommes dont la plus emblématique
s’exécute sur des échasses organisées lors des différentes cérémonies. On peut
regretter qu’elles s’organisent aussi désormais pour les touristes moyennant
rétributions.
Le tourisme constitue aujourd’hui un revenu non négligeable
pour certains acteurs locaux : guides, hôteliers, agences de voyage mais
les Dogons sont essentiellement des agriculteurs cultivant le mil, le sorgho, le
fonio et là ou l’eau est présente, notamment grâce à de petits barrages s’est
développée une culture maraichère, majoritairement des oignons.
L’art Dogon est réputé dans le monde entier pour ses
masques, ses statuettes rituelles et ses fameuses portes en bois sculptées et
les falaises hautes de 100 à 300 mètres d’altitude sont désormais classées au
patrimoine de l’UNESCO comme site exceptionnel.
J’espère que ce petit billet écrit sur la base de souvenirs
personnels forcément parcellaires avec l’aide du livre de Bokar N’Diaye ‘’Les
Groupes ethniques au Mali’’ éclairera le conflit actuel sur d’autres aspects
que la politique et la géostratégie. Une rencontre avec l’islam radical
risquerait d’anéantir à jamais ce qu’ils ont su préserver jusqu’à ce
jour : leur identité.
Je formule le vœu aussi que le Mali tout entier qui recèle
beaucoup d’autres richesses culturelles échappe enfin à cette tourmente que
l’inconséquence de sa classe politique et les errements des putschistes plus à
l’aise pour perpétrer des coups d’état que d’aller se confronter avec les
islamistes n’ont pas su éviter.