lundi 24 septembre 2012

Le Dimanche à Bamako….



Le dimanche à Bamako, comme le chantent Amadou et Mariam, c’est le jour des mariages,  et ce dimanche de septembre 1969, année pleine de promesses, ce fut aussi le mien.
Belle affaire, me direz vous, c’est une histoire à la Jean Carmet qu’il nous inflige, manifestement ce gars là a  eu une vie passionnante. S’agissait-il au moins d’un beau mariage en grande pompe ? Sonnez binious et résonnez djembés, même pas. Non, un mariage d’une sobriété encore plus dépouillée que le jeu de scène de Michel Sardou. Circulez, y a rien à boire et même pas grand-chose à manger.
Là, c’est plutôt pour le plaisir de faire un bon mot, le banquet qui réunissait huit convives fut parfait, et comme le disait Jankélévitch « Chaque repas que  l’on fait est un repas de moins à faire » Vous l’aurez compris, je ne suis pas un bon client pour Top Chef, Master Chef et autres fantaisies culinaires.
Donc, pas de bitures, pas de gavottes, pas de Koras, pas de copains, pas de voisins, pas de bazins, ni badauds, ni griots ; non, juste un frère, une belle sœur et dieu merci, un marié et une mariée qui avaient eu la politesse d’être au rendez vous. Le Dimanche à Bamako c’est ……
Mais voilà, c’était un dimanche, c’était à Bamako et ce jour là fut suivi par environ 6.500 jours et autant de nuits. Que reste t-il de mes souvenirs, de Bamako, du Mali 15 ans après ?
 L’odeur des pistes latéritiques, les ‘’gendarmes couchés’’, spécialité Bamakoise qui perdure, dont certains sont si ventrus que les franchir à 20kms heure constitue un risque majeur pour des génitoires mal accrochées, la circulation anarchique, les ‘’nids de poules’ rongeant le bitume, plutôt calibrés pour accueillir des œufs d’autruche, le désordre coloré des marchés, leurs odeurs parfois prégnantes, la chaleur accablante quand on descend de l’avion sur le tarmac de l’aéroport en plein mois de mars.
Sans oublier le ‘’Point G’’, qui n’est pas l’espoir d’une rencontre aussi mystérieuse que prometteuse mais plus prosaïquement le signe de désordres organiques affectant généralement les Toubabs sous les tropiques, puisqu’il s’agit d’un des deux hôpitaux de Bamako situé sur la colline éponyme.
Mais encore, les petits talibés (guaribou) mendiant dans les rues, boites de conserve à la main en guise de sébiles afin de ramener au Maître coranique, le Karamoko, de quoi subvenir aux besoins primaires, les milliers de bruyantes roussettes accrochées la tête en bas dans les caïcedrats,’’les baara nyini’’, chercheurs de travail, prêts à se louer dès le moindre appel, et la cohorte de ’’ banabana’’ et tabliers, petits vendeurs de cigarettes, préservatifs, kleenex, objets en plastique etc.. s
 Et aussi la magie du pays dogon, Bandiagara et ses falaises, Mopti carrefour commercial et ethnique, Ségou et ses constructions coloniales, Djenné sur son ile et sa magnifique mosquée en banco, et je ne sais rien ou si peu, de Tombouctou la mystérieuse, et de Gao capitale de l’empire Songhaï sans oublier ce qui constitue peut être la principale richesse de ce pays sahélien souvent affecté par la sécheresse, le Niger que les maliens nomment Djoliba.
Le Mali, ce n’est pas qu’une carte postale, c’est aussi et surtout des hommes et des femmes, Moussa le fervent musulman qui mettait ses maigres économies chez les Pères Blancs, Dramane le Sarakollé souriant devenu Wahabbia, victime consentante ? du prosélytisme saoudien dans les années 90, Maïga le karatéka  Songhaï venu de Gao à l’énergie prodigieuse, Guila le séducteur culturiste, Mama la nounou aimante recherchée en vain  plus tard dans sa Guinée-Conakry natale, Etienne le cuistot catholique, Yaya le blanchisseur-bricoleur et tous les autres.
Curieusement, à part le mien auquel je m’étais aimablement convié, et qui vous vous en doutez, ne défraya pas la chronique, et dont je ne suis pas sur que son intrusion dans celle-ci soit opportune,  je n’ai jamais assisté à un mariage au Mali.
Il me faudra attendre la Guinée et la Côte d’Ivoire pour participer à  deux cérémonies nuptiales africaines, et si je dois résumer ma vie ‘’cérémoniale  en Afrique’’, c’est deux mariages, deux enterrements, je vous fais grâce du mien, du mariage bien sur.
N’en déplaise à notre couple de chanteurs et griots, alors  élèves de L’institut des jeunes aveugles de Bamako, la capitale malienne ne m’a offert, si j’ose dire, que deux enterrements, celui de mes camarades sportifs, MaÏga le karateka vaincu semble t-il par une crise cardiaque, les autopsies étaient rares au sahel à l’époque, et Guila le culturiste terrassé par un cancer du foie. Tous les deux en pleine trentaine apparemment florissante.  
 Le Mali, je n’y vis plus, tout du moins le jour, car la nuit j’y fais de fréquentes incursions, subrepticement, et j’y rencontre souvent des visages connus, et  joviaux, ils me reconnaissent spontanément, me saluent, même le lépreux qui mendiait à la porte du local des boites postales me sourit, et m’appelle ‘’jakouma tigi’’  (l’homme au chat) en souvenir du temps où le dimanche après avoir relevé notre courrier nous allions nous promener ma femme et moi en brousse avec  pupuce notre ‘’greffier malien’’. Je vous avais prévenu, j’ai eu une vie palpitante et ça continue.
Que signifie cette double vie onirique ? Freud disait que les rêves étaient en quelque sorte des gardiens du sommeil, qu’ils nous aidaient à rester plongés dans le repos, mais aussi paradoxalement qu’ils pouvaient être facteurs de création puisque je leur dois, avec sans doute la complicité de cette triste actualité, l’envie d’écrire ce petit article.
L’on me dit que malgré les soubresauts récents, on mène une vie normale à Bamako et que l’on y célèbre autant de mariages qu’auparavant, que les Fonés et Djélis animateurs de ces cérémonies ne chôment pas, que les tamas et les dununs résonnent toujours.
Et dans les villes occupées par les différents groupes islamistes ?  S’y marie t-on encore ?  Les habitants sont-ils trop occupés à tenter de sauver les mausolées comme le  Tombeau des Askia à Gao ou à préserver de l’amputation les mains de quelques voleurs et la lapidation de couples adultères.   
 Pour le moment, ils  attendent l’aide militaire de la  Cedeao, comme les deux vagabonds de Becket, attendaient Godot, sans savoir vraiment ce qu’elle peut leur apporter et si le retour à la vie d’avant est possible. J’ai envie de détourner la célèbre devise de l’ordre de la Jarretière et dire, même si c’est un peu vain,  « Honni soit qui Mali pense pas »

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