vendredi 16 novembre 2012

De gauche ou de droite, l’hémiplégie nous guette !



« Qu’on soit de gauche ou qu’on soit de droite, on est hémiplégique » dit un jour Raymond Aron à Jean Paul Sartre. A cette même époque, la dite gauche intellectuelle prononçait une sentence aussi définitive que stupide « Mieux vaut avoir tort avec Sartre, que raison avec Aron » Circulez, il n’y a rien à voir et encore moins à discuter …. 

Est-on condamné à l’hémiplégie idéologique irréversible ? Connaît-elle des épisodes d’alternance ? A gauche certaines fois et à droite d’autres fois selon les sujets ? Quand on en guérit est on au centre ? 

Au début, la droite et la gauche n’étaient que des notions de positionnement dans un espace confiné, en l’occurrence lors de l’assemblée constituante de 1789, pour décompter les voix plus facilement. 

C’est plus tard, en France, et notamment pendant l’affaire Dreyfus que viennent se greffer les valeurs qui se rattachent à ces vocables.

Bien entendu, ce clivage varie selon les pays et les époques, certaines valeurs peuvent migrer au cours du temps et passer de gauche à droite et inversement.

Droites et gauches se conjuguent au pluriel, il y a plusieurs gauches comme il y a plusieurs droites mais la géométrie ne nous dit rien sur les gauches, elles peuvent donc se mélanger, se chevaucher, s’enchevêtrer, s’ajouter, s’embrasser folle ville sans qu’Euclide et ses disciples n’y voient à redire.
 Pour les droites c’est un autre problème, soit elles se coupent et c’est l’accident, la collision, l’implosion même parfois ?  Soit elles sont parallèles, ne se rencontrent jamais  et n’ont donc en théorie aucun point commun. Elles ont donc du mal à s’agréger.

Elles recherchent donc le centre droit pour faire nombre, un hémiplégique partiellement guéri,  mais avec quelques séquelles droitières. Les gauches, elles aussi ne se privent pas pour attirer à elles les centristes présentant un léger tropisme senestre.

On l’a vu, la géométrie semble favorable à la gauche dans son ensemble. L’étymologie, elle, penche à droite depuis toujours. La langue Française est particulièrement discriminante à l’encontre de la gauche, un individu maladroit est gauche tandis qu’un autre digne de confiance mérite de devenir votre’’ bras droit’’.

Chez nos amis transalpins, gauche se dit « sinistra », tandis que droit est associé à dextre, adroit, habile (dextrus) La langue  Française conserve la trace de cette discrimination : ne dit-on pas d'un  individu peu habile qu'il a des mouvements gauches ? 

Quand on se lève du pied gauche et que le soir on finit par passer l’arme du même côté, on est fondé à se dire que c’était une journée de merde. En un mot une journée sinistre. A moins d’avoir marché dedans cette même journée, ce qui rétablit heureusement l’équilibre.

Cela nous donne en résumé une gauche sinistre et maladroite, ou qui se sent mal à droite, et une droite habile, donc pas si gauche que cela. Cette vision péjorative de la gauche nous attristant, nous suggérons de substituer aux vocables gauche et droite les termes marins bâbord et tribord. Il y aurait donc les babordistes et les tribordistes.

Les centristes purs sont des ambidextres parfaits qui n’auraient aucune latéralisation,  à ne pas confondre avec avec les gauchers ou les droitiers contrariés.

A propos des ambidextres, une étude canadienne dirigée par Michael Peters nous apprend qu’ils sont plus volontiers bisexuels que les gauchers et droitiers. Ils ont donc en commun avec les centristes une réticence à choisir leur camp et une propension  à l’errance sexuelle ou idéologique.

L’étymologie, la géométrie ne nous disent rien sur la question essentielle : Pourquoi est-on de gauche ou de droite ? Nait-on de gauche ou de droite ?  Ou plutôt plus simplement pourquoi vote t-on à gauche ou à droite ?

Et la biologie ? Attention terrain glissant, jusqu’à présent, nous pensions voter en fonction de nos convictions et  étions persuadés que notre affiliation  politique était complètement sous notre contrôle, en tenant compte néanmoins de notre environnement social.

Patatras, des chercheurs nord américains et anglais (1) à qui nous n’avions rien demandé auraient démontré que l’orientation politique dépendait de notre cerveau, plus précisément de la taille de notre cortex cingulaire antérieur et de vos amygdales.

Rassurons tout de suite les nombreux amygdalectomisés que cela pourrait traumatiser, qu’il ne s’agit pas là, en l’occurrence des amygdales pharyngées mais de la ou plutôt des deux amygdales cérébrales.

Selon ces chercheurs, les électeurs de gauche et ceux de droite n’auraient pas le même cerveau. Il y a évidemment un biais important, les américains parlent plus en terme de libéral ou conservateur que de gauche ou de droite, ce qui n’est pas totalement transposable en France, mais il nous faudra faire avec.

Ils firent donc passer des tests à deux cents personnes et leur faisant  visualiser des images plaisantes ou désagréables. Le résultat ? On distingua deux groupes, ceux qui se focalisèrent sur les images plaisantes et ceux qui se concentrèrent sur les images dérangeantes.

Les ‘’droitiers réagirent plus aux stimuli négatifs, tandis que ‘’ gauchers’’ furent plus réactifs aux stimuli positifs. Pour résumer de manière simpliste, il y a ceux qui voient le mal partout, et les autres qui voient la vie en rose, ce qui expliquerait le choix de  l’emblème du parti socialiste. Mais ce qui contredit la théorie esquissée à partir de l’étymologie et de la sémantique.

Selon ces études, les personnes s’affirmant de gauche auraient un cortex cingulaire antérieur plus développé, c’est une région associée à la prise de décision et à la réponse empathique à la douleur des autres. Les sympathisants de droite, eux, seraient mieux pourvus coté  amygdales, région du cerveau impliquée dans l'apprentissage des émotions et les réponses à la peur et l'anxiété.

S’il existe une droite égoïste qui ne se préoccupe que de ses intérêts particuliers, il existe aussi, et elle est très présente médiatiquement, une gauche dite caviar prompte à distiller ses leçons de morale au monde entier en évitant soigneusement de se les appliquer à elle-même

 En schématisant, on peut dire que la gauche questionne l’autorité, prône la diversité et se soucie plus des faibles et des opprimés. Elle veut la justice même si c’est en s’affranchissant des règles politiques ou économiques. Si un choix doit s’opérer entre liberté et égalité la gauche inclinera vers l’égalité. 

Par contraste, la droite met l’accent sur les institutions et les traditions, la foi et la famille, la nation, l’ordre parfois aussi la religion. Elle  croit que l’homme est égoïste par nature et ne se soucie pas en priorité du bien commun. Il faut donc imaginer une société, ou à partir de la prise en compte des intérêts individuels, l’on arrive à fabriquer de la solidarité. La société est donc l’addition de chaque individu qui la compose.  

Les grands oubliés de ces recherches  sont les centristes intégraux dont on ne sait rien sur le volume de leurs cortex et de leurs amygdales et même s’ils en sont dotés. Ils sont sans doute très peu nombreux comme les ambidextres et considérés comme quantité négligeable.

On ne sait rien non plus sur les errants qui votent de gauche à droite et vice versa et l’on entre dans paradoxe de la poule et de l’œuf. 

Qui agit sur quoi ? Constate t-on chez les migrants politiques des modifications du cortex ou des amygdales ? L’orientation politique a-t-elle une influence sur le cerveau ou au contraire la conformation de ce  dernier est elle déterminante dans nos choix politiques ?

La réalité semble être plus simple, puisque d’autres études démontrent que le plus souvent nos décisions autant morales que politiques reposent à l’origine sur des sentiments intuitifs plutôt que sur des réflexions élaborées et rationnelles.

L’on décide d’abord intuitivement, et l’on construit après, un discours que l’on veut le plus rationnel possible pour coller à cette décision, on est donc plus souvent dans l’émotionnel que dans le raisonnement.

Des politologues américains, ont montré  dans un ouvrage intitulé ‘’Cœurs et esprits partisans ‘ (2) que beaucoup de personnes ne choisissaient pas un parti politique, en fonction de leur propre opinion, mais plutôt par un phénomène d’identification à leur milieu familial, social, ou professionnel. Ensuite, ils s’approprient les idées et le discours du parti choisi.

Et si au lieu de les opposer dans un match de boxe stérile, qui dans le meilleur des cas se termine par un match nul au sens littéral du terme, on reconnaissait comme le suggère le psychologue Jonathan Haidt(3) que les deux contiennent des valeurs morales différentes qui pourraient s’additionner au lieu de s’affronter ? 

Vœu pieux sans doute, utopie teintée d’hypocrisie, mirage centriste, chimère bayrouiste  face à une bipolarisation  de la vie politique qui ne se dément pas depuis des décennies.

Par conséquent, malgré ces bonnes intentions et le fait que les notions de gauche et de droite soient parfois contestées dans l’opinion publique en France, il est paradoxal de constater que nous acceptons souvent de nous positionner selon ces critères.

Il y a fort à parier que ce clivage perdurera et que les saisons pugilisto-politiques, style  ‘’soigne ta droite ou je te mets une gauche’’  ne sont pas prêtes de s’achever pour la plus grande joie des commentateurs médiatiques, pour la plupart, hypertrophiés du cortex. 

L’hémiplégie idéologique, sorte de paralysie de la pensée à de beaux jours devant elle.

(2) Partisan Hearts and Minds ” (Coeurs et esprits partisans), Donald Green, Bradley Palmquist, et Eric Schickler

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