« Qu’on soit de gauche ou
qu’on soit de droite, on est hémiplégique » dit un jour Raymond Aron
à Jean Paul Sartre. A cette même époque, la dite gauche intellectuelle
prononçait une sentence aussi définitive que stupide « Mieux vaut avoir
tort avec Sartre, que raison avec Aron » Circulez, il n’y a rien à voir et
encore moins à discuter ….
Est-on condamné à
l’hémiplégie idéologique irréversible ? Connaît-elle des épisodes
d’alternance ? A gauche certaines fois et à droite d’autres fois selon les
sujets ? Quand on en guérit est on au centre ?
Au début, la droite et la
gauche n’étaient que des notions de positionnement dans un espace confiné, en
l’occurrence lors de l’assemblée constituante de 1789, pour décompter les voix
plus facilement.
C’est plus tard, en France, et notamment pendant l’affaire
Dreyfus que viennent se greffer les valeurs qui se rattachent à ces vocables.
Bien entendu, ce clivage varie
selon les pays et les époques, certaines valeurs peuvent migrer au cours du
temps et passer de gauche à droite et inversement.
Droites et gauches se
conjuguent au pluriel, il y a plusieurs gauches comme il y a
plusieurs droites mais la géométrie ne nous dit rien sur les gauches, elles
peuvent donc se mélanger, se chevaucher, s’enchevêtrer, s’ajouter,
s’embrasser folle ville sans qu’Euclide et ses disciples n’y voient à redire.
Pour les droites c’est un autre
problème, soit elles se coupent et c’est l’accident, la collision, l’implosion
même parfois ? Soit elles sont
parallèles, ne se rencontrent jamais et
n’ont donc en théorie aucun point commun. Elles ont donc du mal à s’agréger.
Elles recherchent donc le centre droit pour faire nombre, un
hémiplégique partiellement guéri, mais
avec quelques séquelles droitières. Les gauches, elles aussi ne se privent pas
pour attirer à elles les centristes présentant un léger tropisme senestre.
On l’a vu, la géométrie semble favorable à la gauche dans
son ensemble. L’étymologie, elle, penche à droite depuis toujours. La langue
Française est particulièrement discriminante à l’encontre de la gauche, un
individu maladroit est gauche tandis qu’un autre digne de confiance mérite de
devenir votre’’ bras droit’’.
Chez nos amis transalpins, gauche se dit « sinistra »,
tandis que droit est associé à dextre, adroit, habile (dextrus) La langue Française conserve la trace de cette
discrimination : ne dit-on pas d'un individu peu habile qu'il a des mouvements gauches ?
Quand on se lève du pied gauche et que le soir on finit par
passer l’arme du même côté, on est fondé à se dire que c’était une journée de
merde. En un mot une journée sinistre. A moins d’avoir marché dedans cette même
journée, ce qui rétablit heureusement l’équilibre.
Cela nous donne en résumé une gauche sinistre et maladroite,
ou qui se sent mal à droite, et une droite habile, donc pas si gauche que cela.
Cette vision péjorative de la gauche nous attristant, nous suggérons de
substituer aux vocables gauche et droite les termes marins bâbord et tribord. Il
y aurait donc les babordistes et les tribordistes.
Les centristes purs sont des ambidextres parfaits qui
n’auraient aucune latéralisation, à ne
pas confondre avec avec les gauchers ou les droitiers contrariés.
A propos des ambidextres, une étude canadienne dirigée par
Michael Peters nous apprend qu’ils sont plus volontiers bisexuels que les
gauchers et droitiers. Ils ont donc en commun avec les centristes une réticence
à choisir leur camp et une propension à
l’errance sexuelle ou idéologique.
L’étymologie, la géométrie ne nous disent rien sur la
question essentielle : Pourquoi est-on de gauche ou de droite ?
Nait-on de gauche ou de droite ? Ou
plutôt plus simplement pourquoi vote t-on à gauche ou à droite ?
Et la biologie ? Attention terrain glissant, jusqu’à
présent, nous pensions voter en fonction de nos convictions et étions persuadés que notre affiliation politique était complètement sous notre
contrôle, en tenant compte néanmoins de notre environnement social.
Patatras, des chercheurs nord américains et anglais (1) à
qui nous n’avions rien demandé auraient démontré que l’orientation politique
dépendait de notre cerveau, plus précisément de la taille de notre cortex
cingulaire antérieur et de vos amygdales.
Rassurons tout de suite les nombreux amygdalectomisés que
cela pourrait traumatiser, qu’il ne s’agit pas là, en l’occurrence des
amygdales pharyngées mais de la ou plutôt des deux amygdales cérébrales.
Selon ces chercheurs, les électeurs de gauche et ceux de
droite n’auraient pas le même cerveau. Il y a évidemment un biais important,
les américains parlent plus en terme de libéral ou conservateur que de gauche
ou de droite, ce qui n’est pas totalement transposable en France, mais il nous
faudra faire avec.
Ils firent
donc passer des tests à deux cents personnes et leur faisant visualiser des images plaisantes ou désagréables. Le
résultat ? On distingua deux groupes, ceux qui se focalisèrent sur les images
plaisantes et ceux qui se concentrèrent sur les images dérangeantes.
Les ‘’droitiers
réagirent plus aux stimuli négatifs, tandis que ‘’ gauchers’’ furent plus
réactifs aux stimuli positifs. Pour résumer de manière simpliste, il y a
ceux qui voient le mal partout, et les autres qui voient la vie en rose, ce qui
expliquerait le choix de l’emblème du
parti socialiste. Mais ce qui contredit la théorie esquissée à partir de
l’étymologie et de la sémantique.
Selon ces études, les personnes s’affirmant de gauche
auraient un cortex cingulaire antérieur plus développé, c’est une région
associée à la prise de décision et à la réponse empathique à la douleur des
autres. Les sympathisants de droite, eux, seraient mieux pourvus coté
amygdales, région
du cerveau impliquée dans l'apprentissage des émotions et les réponses à la
peur et l'anxiété.
S’il existe une droite égoïste qui ne se préoccupe que de
ses intérêts particuliers, il existe aussi, et elle est très présente
médiatiquement, une gauche dite caviar prompte à distiller ses leçons de morale
au monde entier en évitant soigneusement de se les appliquer à elle-même
En schématisant, on
peut dire que la gauche questionne l’autorité, prône la diversité et se soucie
plus des faibles et des opprimés. Elle veut la justice même si c’est en
s’affranchissant des règles politiques ou économiques. Si un choix doit
s’opérer entre liberté et égalité la gauche inclinera vers l’égalité.
Par contraste, la droite met l’accent sur les institutions
et les traditions, la foi et la famille, la nation, l’ordre parfois aussi la
religion. Elle croit que l’homme est
égoïste par nature et ne se soucie pas en priorité du bien commun. Il faut donc
imaginer une société, ou à partir de la prise en compte des intérêts
individuels, l’on arrive à fabriquer de la solidarité. La société est donc
l’addition de chaque individu qui la compose.
Les grands oubliés de ces recherches sont les centristes intégraux dont on ne sait
rien sur le volume de leurs cortex et de leurs amygdales et même s’ils en sont
dotés. Ils sont sans doute très peu nombreux comme les ambidextres et
considérés comme quantité négligeable.
On ne sait rien non plus sur les errants qui votent de
gauche à droite et vice versa et l’on entre dans paradoxe de la poule et de
l’œuf.
Qui agit sur quoi ? Constate t-on chez les migrants
politiques des modifications du cortex ou des amygdales ? L’orientation
politique a-t-elle une influence sur le cerveau ou au contraire la conformation
de ce dernier est elle déterminante dans
nos choix politiques ?
La réalité semble être plus simple, puisque d’autres études
démontrent que le plus souvent nos décisions autant morales que politiques
reposent à l’origine sur des sentiments intuitifs plutôt que sur des réflexions
élaborées et rationnelles.
L’on décide d’abord intuitivement, et l’on construit après,
un discours que l’on veut le plus rationnel possible pour coller à cette
décision, on est donc plus souvent dans l’émotionnel que dans le raisonnement.
Des politologues américains, ont montré dans un ouvrage intitulé ‘’Cœurs et esprits
partisans ‘ (2) que beaucoup de personnes ne choisissaient pas un parti
politique, en fonction de leur propre opinion, mais plutôt par un phénomène
d’identification à leur milieu familial, social, ou professionnel. Ensuite, ils
s’approprient les idées et le discours du parti choisi.
Et si au lieu de les opposer dans un match de boxe stérile,
qui dans le meilleur des cas se termine par un match nul au sens littéral du
terme, on reconnaissait comme le suggère le psychologue Jonathan Haidt(3)
que les deux contiennent des valeurs morales différentes qui pourraient
s’additionner au lieu de s’affronter ?
Vœu pieux sans doute, utopie teintée d’hypocrisie, mirage
centriste, chimère bayrouiste face à une
bipolarisation de la vie politique qui
ne se dément pas depuis des décennies.
Par conséquent, malgré ces bonnes intentions et le fait que
les notions de gauche et de droite soient parfois contestées dans l’opinion
publique en France, il est paradoxal de constater que nous acceptons souvent de
nous positionner selon ces critères.
Il y a fort à parier que ce clivage perdurera et que les
saisons pugilisto-politiques, style ‘’soigne ta droite ou je te mets une gauche’’ ne sont pas prêtes de s’achever pour la plus
grande joie des commentateurs médiatiques, pour la plupart, hypertrophiés du
cortex.
L’hémiplégie idéologique, sorte de paralysie de la pensée à
de beaux jours devant elle.